Mystère autour d’une série macabre
D’un côté, il y a ceux qui meurent après une vie pleine. De l’autre, il y a ceux qui partent sans avoir achevé la course. Le 13 février, dans une clinique française Henri Salvador quittait le monde des vivants, à 90 ans révolus. Le 14 février, dans une clinique abidjanaise, Joëlle C cédait à son tour le micro. Elle avait 33 ans. Deux microcosmes artistiques. Deux destins différents. Pourquoi les artistes ivoiriens meurent-ils si…tôt Cinq artistes chanteurs sont morts en moins de quatre mois en Côte d’ivoire. Tous avaient moins de quarante ans.
Avant Joëlle C décédée d’une insuffisance rénale à 21 heures 20 le jeudi 14 février, dans une clinique à Abidjan, il y a eu Christelle Marie Ruth Tondey. Elle est décédée des suites d’une méningite aigue le 22 novembre 2007. Pendant près d’un semestre, elle a porté, dans une rare dignité caractéristique des artistes anoblis par leur art, la croix de ce mal pernicieux détecté certes pas très tôt. Ruth Tondey a arrêté ses trémolos enlevés dans un hôpital public. Ce n’était pas dans le dénuement. Ce n’était non plus pas dans l’opulence.
Après elle, deux autres artistes chanteurs ont passé…le micro à gauche. Il s’agit de Kunta et de Officier public. Le dernier cité a été enterré samedi. Les successives disparitions de ces deux artistes ont surpris plus d’un. Sur les circonstances exactes de leur mort, il n’y a guère d’informations précises. Plutôt des histoires irrationnelles qui en rajoutent au mystère entretenu ou créé autour de la mort des artistes ivoiriens.
Légendes et mystères
En fin de semaine dernière, le cinquième artiste à avoir baissé le rideau était Bi Kalou Smoky de Bédiala. Ces quatre derniers mois ont donc connu leur mort en cascade d’artistes ivoiriens. Presque chaque année, l’histoire semble se répéter à un rythme effroyable dans le microcosme artistique ivoirien. Des cycles infernaux qui plongent les mélomanes ivoiriens dans le deuil. A la fin de l’année 2006, c’était la séquence maudite qui a emporté coup sur coup Djessan Ayateau (3 octobre) et Stéphane Doukouré dit Douk Saga (12 octobre). Le premier est mort dans le quasi délaissement au Centre hospitalier et universitaire (CHU) de Yopougon, réputé pour son service approximatif à l’instar d’ailleurs de presque tous les hôpitaux publics du pays.
La même légende a aussi entouré la disparition (31 mars 2007), à 33 ans de Yves Allany Brou connu sous le nom de Alan DJ. Victimes des déchets toxiques, avait couru la rumeur. Quand la même rumeur attribuait aux sorciers de leur village respectif les disparitions de Lohoré de Sakolo ou de Akézo, deux artistes chanteurs qui dénonçaient dans leurs textes les sorciers et autres marabouts africains.
Pourquoi si tôt ?
La question que tous les Ivoiriens se posent aujourd’hui est de savoir pourquoi les artistes de ce pays meurent-ils si tôt, sinon si vite ? La disparition brutale et précoce de Joëlle C. remet au goût du jour cette question. Gadji Céli le président de l’Union des artistes de Côte d’ivoire (UNARTCI) qui s’est confié à des journalistes peu après l’annonce de la mort de Joëlle C., a jeté un pavé dans la mare. «Joëlle serait en vie aujourd’hui si elle avait été internée tôt dans un hôpital bien équipé. Les artistes sont confrontés à des problèmes très souvent d’ordre social. Depuis un moment, les artistes meurent en grand nombre. Cela est dû à leurs conditions de vie qui ne s’améliorent pas.
Joëlle C. est comme ma fille. Elle a grandi au sein de King Fusion. J’ai très mal car je connais le problème. On l’a internée dans une clinique à Marcory alors qu’elle aurait pu atterrir directement dans un hôpital bien équipé, elle serait encore en vie aujourd’hui ».
Exit mystères et légendes. La pauvreté serait à en croire Gadji Céli la cause principale de la disparition précoce des artistes ivoiriens.
Pourrait-il avoir tort ? Rien n’est moins sûr. Une chose est certaine, l’espérance de vie en Côte d’Ivoire a considérablement baissé. En 2005, selon le Fonds des nations unies pour l’enfance, la culture et l’éducation (UNICEF), l’espérance de vie était de 45 ans. En 1970, elle s’élevait à 47 ans. La tendance des morts précoces semble être la chose la mieux partagée en Côte d’Ivoire.










